Nous sommes en automne, en cette première année du XIXème siècle. C’est la Révolution. Le préfet de Paris signe un texte d’interdiction pour les femmes de porter le pantalon. Cette ordonnance de police du 26 brumaire an IX rappelle que le pantalon est fait pour les hommes et que les femmes ont le droit de se « travestir » uniquement pour raison de santé. Sans cette autorisation, « toute femme trouvée travestie […] sera arrêtée ». Le but de ce texte était d’interdire aux femmes de pratiquer certains métiers, d’accéder à certaines fonctions.

Pour obtenir l’autorisation de porter un pantalon, la femme doit donc se présenter à la Préfecture de police. C’est ce que fait notamment l’auteure George Sand, à plusieurs reprises auprès de la préfecture de l’Indre, mais aussi la peintre et sculptrice Rosa Bonheur (1822-1899), première femme artiste à avoir reçu la Légion d’honneur.

Les permissions de travestissement étaient extrêmement rares tout de même. Une petite dizaine de femmes en bénéficiait à la fin du XIXème siècle, les autres enfreignaient la loi (par ignorance de celle-ci ou par, ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui, « féminisme ») !

Selon l’AFP, en 1892 puis en 1909, deux circulaires préfectorales auraient autorisé les femmes à couvrir leurs jambes sous certaines conditions très précises : « Si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».

Depuis le début du XXème siècle, les femmes ont été de plus en plus nombreuses à porter un pantalon. Et aujourd’hui, on trouve cette interdiction du port du pantalon ridicule. D’ailleurs, cette ordonnance, qui n’était plus du tout suivie, a été abrogée implicitement en 2013 (je vous en avais parlé ici en 2012). Aujourd’hui, nous sommes libres de porter des pantalons! Aujourd’hui, les femmes sont libres de s’habiller comme elles le veulent. Aucune loi écrite ne restreint le choix vestimentaire des femmes. Demain, je peux mettre une mini-jupe, vendredi, un pantalon, samedi, une robe, dimanche un bermudas, lundi un leggin…

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Nous sommes en août 2016, en France. Ce sont les vacances scolaires. En ce début de XXIème siècle, quelques maires de communes françaises ont pris un arrêté interdisant la baignade dans une tenue qui, selon eux, ne respectait pas la laïcité : Cannes, Villeneuve-Loubet, Sisco, Cap-d’Aïl, Leucate, Oye-Plage, Le Touquet-Paris-Plage, etc. Les femmes portant un burkini seront sanctionnées pour « trouble à l’ordre public » de l’amende prévue pour les contraventions de première classe, soit un maximum de 38 €.

Selon l’arrêté cannois « l’accès à la plage et à la baignade sur la commune de Cannes sont interdits, à compter de la signature du présent arrêté jusqu’au 31 août 2016, à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime ».

Cet arrêté est-il légal? Je ne sais pas. Je me suis un peu renseignée cependant…

D’abord, on est dans un pays laïc (j’ai l’impression de me répéter). L‘article 1er de la Constitution prévoit les principes de laïcité et de liberté religieuse : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » qui « respecte toutes les croyances »Pour résumer, c’est l’Etat qui est neutre, pas les citoyens.

Ensuite, le burkini ne couvre pas le visage des femmes donc ça n’entre pas dans le cadre de la loi de 2010 sur le voile intégral dans l’espace public qui punit tout contrevenant d’une amende de 150 euros

Enfin, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, stipule que toute personne a la liberté de « manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

Maintenant que cela est posé, on peut se demander comment les agents municipaux chargés de l’exécution de cet arrêté vont procéder pour juger d’une « tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse ».

Est-ce que les footballeurs qui ont des tatouages de crucifix pourront aller se baigner sans les recouvrir?

Est-ce qu’un juif portant une kippa pourra profiter de la plage? Et une femme juive avec jupe longue et tee-shirt à manche longue, foulard (ou perruque) sur les cheveux pourra se balader sur la plage?

Est-ce qu’une chrétienne en maillot (une seule pièce) avec un paréo couvrant son corps et une croix autour du cou pourra jouer avec ses enfants et les accompagner dans l’eau?

Interdira-t-on aux religieuses catholiques de se balade sur la plage et de mettre les pieds dans l’eau ?

Nawak Illustrations Burkini police municipale plages

Est-ce qu’une femme, habillée, portant un hijab, pourra se promener sur la plage, jouer avec ses enfants, profiter du soleil?

Mes questions peuvent paraître ridicules et faire sourire. Pourtant… Pourtant, cette semaine, à Nice, une jeune mère de famille toulousaine de 34 ans, qui était sur la plage, entourée de sa famille, a été verbalisée puis a quitté la plage avec ses jeunes enfants. Portait-elle un burkini? Non, juste un leggin et un foulard. Mais les policiers municipaux niçois ont estimé qu’elle contrevenait au respect de la laïcité à cause de sa tenue.

Source : Daily Mail
Source : Daily Mail

En voyant ces photos hier, d’une femme obligée par 3 policiers à se déshabiller devant tout le monde, j’ai ressenti beaucoup de tristesse et de colère (les photos ont été prises à son insu par un photographe qui travaillait sur les arrêtés anti-burkini). Comment peut-on ainsi humilier publiquement une femme en France en 2016 ?

Cette femme a été humiliée parce que des personnes qui bronzent à côté d’elle ont appelé la police municipale pour la dénoncer. Cela rappelle les heures sombres de l’Europe.

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Il y a 80 ans, on découvrait les congés payés. Et avec eux, les plaisirs de la plage. Mais gare aux femmes qui montraient un peu trop de chair! Aujourd’hui, attention aux femmes qui n’en montrent pas assez!

Ces arrêtés sur la tenue des femmes font faire un bon de 200 ans en arrière à notre pays. A l’époque où on ordonnait aux femmes de ne pas porter de pantalons. Aujourd’hui, on interdit aux femmes croyantes et/ou pudiques de profiter de l’espace public, de leurs plages, de nos plages. On a déjà interdit aux mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires. Sauf si elles enlèvent leur hijab. Si on interdit aux femmes de s’habiller comme elles le souhaitent, elles ne pourront plus aller sur la plage. Ensuite qu’allons-nous inventer pour que les femmes restent chez elles? 

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Quand, dans un pays, on légifère sur la tenue des femmes, c’est qu’on va bien mal.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Simone de Beauvoir

Mon premier billet sur le sujet : Burkini + laïcité + féminisme = Attention, mélange explosif!

Le billet de Céline : Elle portait le voile…

Le billet de Nat : Encore une fois je ne comprends pas……..

Le billet de la Nouvelle Eloïse : J’ai essayé d’être contre le port du burkini

Le billet d’Oumi et sa petite fée : Le burkini, l’islam, la France et moi