Cette année, dans une de mes classes, un élève atteint du TDAH ou trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité a retenu toute l’attention de l’équipe pédagogique.

Cette maladie, car c’en est une, nous la connaissions peu, même si un collègue nous avait parlé de son fils, atteint de ce trouble qu’il faut différencier de ce qu’on appelle généralement une « hyperactivité ». Seulement 3 à 5% des enfants sont réellement atteints de TDAH.

Le principal du lycée a donc décidé d’une réunion entre les parents et les professeurs avec un médecin. Après des mois de bataille pour qu’un médecin scolaire puisse se déplacer dans notre lycée pour nous rencontrer, nous avons enfin pu poser toutes les questions que nous souhaitions et mieux comprendre le comportement de ce gamin difficile à gérer dans une classe « ordinaire » (c’est-à-dire de 25 élèves).

Les parents et le médecin ont parlé de maladie neurologique, de handicap, de médicament. En effet, le lycéen était sous Ritaline, un médicament composé de méthylphénidate, molécule proche des amphétamines. C’est d’ailleurs le sujet de mon article pour les Vendredis Intellos, que vous pouvez lire ici : Droguer les enfants, les dérives de la médecine.

La Ritaline est un médicament efficace s’il est bien utilisé mais avec de nombreux effets indésirables. Le bilan de l’année est donc mitigé.

Les parents de cet élève avaient choisi de le mettre à l’internat. Ils ont été honnêtes : ils ne s’en sortaient plus et ont décidé de se séparer de leur enfant pendant la semaine. Un contrat a été établi entre l’enfant, ses parents et le lycée : il devait prendre le traitement prescrit et essayer de s’adapter du mieux qu’il pouvait, sinon il serait exclu de l’internat.

Le surveillant de l’internat avait un rôle un peu particulier auprès de cet élève : lui donner son médicament chaque matin après le petit déjeuner. En effet, ce médicament a un effet coupe-faim. Pour que l’élève ne maigrisse pas à vue d’oeil, le surveillant lui donnait  son comprimé après le premier repas. Mais le midi, l’élève n’avait pas faim. Avec l’accord du médecin qui le suivait depuis des années, nous avons donc adapté son traitement : au lieu de lui donner une dose le matin, nous lui donnions une demi-dose le matin et une demi-dose le midi après le repas. Le lycéen a mieux mangé et a repris un peu de poids.

Ce médicament est censé aider l’enfant à se concentrer. Effectivement, quand l’élève prenait son traitement, il était calme et attentif. Mais quand il zappait son comprimé, il était ingérable et sortait de classe pour se calmer dans le couloir ou dans la Cour. Le problème, c’était que les autres élèves ne comprenaient pas pourquoi il agissait ainsi et pourquoi il « avait le droit de sortir, lui, sans être puni ». Le lycéen, de sa propre initiative, leur a donc expliqué qu’il souffrait d’un trouble neurologique, qu’il était suivi, qu’il prenait un médicament (quand il voulait) qui ne soigne pas la maladie mais en calme les symptômes et les effets indésirables. Il a été mieux accepté dans la classe après cette petite mise au point et a été totalement intégré.

A partir du moment où nous avons divisé sa dose en deux prises, nous avons constaté les limites de ce médicament En effet, la dernière heure du matin, avant le repas, la molécule n’agissait plus et il n’arrivait plus à se concentrer, perturbait le cour en se levant, en parlant sans cesse et en entrant et sortant de la classe.Mais c’était encore gérable, contrairement aux fois où il ne prenait pas du tout la molécule le matin.En lycée professionnel, les élèves de seconde ont deux périodes de stage en entreprise. Nous avons pris le temps de lui expliquer nos craintes, qu’il a trouvées justifiées et les parents ont informé son maître de stage de la situation.Bien sûr, il y a eu quelques moments difficiles, notamment lorsque le stagiaire n’a pas pris son traitement et que son patron a menacé de le mettre à la porte car il n’avait « pas le temps de former un enfant qui n’écoutait rien ». Mais dans l’ensemble, ça s’est très bien passé et le lycéen s’est révélé un excellent stagiaire.

En fait, quand l’activité lui plaisait, que ce soit en classe ou en stage, il arrivait à se concentrer sans effort. Mais dès qu’il devait « prendre sur lui », il n’y parvenait pas et devenait incontrôlable.

De cette année scolaire avec un enfant atteint de TDAH, j’ai beaucoup appris.

Déjà, sur ma capacité à gérer un groupe de 25 gamins dont un « perturbateur malgré lui » : c’est impossible! Il aurait fallu faire des demi-groupes en classe ou varier les matières générales et professionnelles davantage, pour nous adapter à son handicap.

Ensuite, sur les manques du système éducatif : auparavant, l’élève avait été renvoyé de nombreux établissements et son collège a été très mouvementé. On n’avait pas compris que cet élève ne pouvait pas s’adapter tout seul, par la simple volonté et avec son traitement et que c’était à l’établissement de mettre en place une structure d’accueil adaptée. C’est ce qu’a fait le lycée et dans l’ensemble, ça ne s’est pas trop mal passé.

Enfin, ce gamin était très attachant, intelligent et malin. Il connaissait parfaitement bien sa maladie et ses effets et savait qu’il était différent. Il savait qu’il ne pouvait pas s’adapter à notre société mais qu’elle aurait du mal à s’adapter à lui. Dans une de ses rédactions, il m’a écrit qu’un jour, il aurait son entreprise et que quand il sera patron, il sera un excellent professionnel. Peut-être même Meilleur ouvrier de France. Je le lui souhaite sincèrement.

Il m’a épuisée, a perturbé de nombreux cours, a fait mille bêtises, j’ai souvent craqué, mes collègues aussi, mes suis remise en question mais je lui souhaite beaucoup de réussite. Aujourd’hui, il est parti en apprentissage. Ce sera plus adapté pour lui car il sera chez un patron la moitié de l’année. Il lui aura fallu passer par cette année difficile avec de nombreuses heures en classe avant de pouvoir enfin rejoindre un apprentissage où il s’épanouira et où sa maladie le handicapera moins. Parce qu’en France, même si l’enfant est motivé, prêt et mûr, il lui faut attendre d’avoir 16 ans pour faire un apprentissage. Enfin, c’est un autre débat…

Le TDAH touche 3 à 5 % des enfants français. Mais cette pathologie est méconnue. On met trop d’enfants dans le même « sac » avec l’étiquette « hyperactif ». Ces enfants ne peuvent pas s’adapter à notre société. Et si nous nous donnions les moyens de les y intégrer en nous adaptant à eux?

Être prof, c’est s’adapter. Mais donnez-nous-en les moyens!

La Belle Bleue
La Belle Bleue

Pour en savoir plus : http://www.tdah-france.fr

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