Etre parent ne s’apprend pas, on fait de son mieux pour éduquer correctement ses enfants : on leur donne des clés pour qu’ils soient des adultes heureux et épanouis.

     Les parents fondent de grands espoirs en leur progéniture. Je vous avais parlé ici de ce père, Don Diègue qui est extrêmement fier de son fils car il se reconnaît dans son descendant : il l’a éduqué à son image et celui-ci lui renvoie, par ses actes, les mérites de son éducation.

     A l’inverse, la déception est cruelle et vive quand le père ne reconnaît pas son image dans son héritier. Parfois, les enfants déçoivent leurs parents.

     Aujourd’hui, je vais vous parler d’un fils qui a déçu son père.

 

     Dans sa célèbre comédie Dom Juan (1665), Molière met en scène un jeune noble athée qui s’amuse à séduire les femmes (d’où l’expression « être un Don Juan »). Il leur promet le mariage pour qu’elles succombent à son charme mais il les abandonne sans vergogne. Faisant fi des conventions sociales, il vit une vie de vices et de débauche.

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     Le passage que je vous propose de lire met en scène une violente dispute entre le père, qui rend visite à l’improviste à son fils, et Don Juan, à qui il reproche d’avoir sali la réputation de leur famille.

 

 

Acte IV, Scène 4 — Don Louis, Don Juan, La Violette, Sganarelle.

 

LA VIOLETTE. — Monsieur, voilà Monsieur votre père.

DON JUAN. — Ah ! me voici bien : il me fallait cette visite pour me faire enrager.

DON LOUIS. — Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. À dire vrai, nous nous incommodons étrangement l’un et l’autre ; et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements. Hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu’il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l’importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! J’ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles ; je l’ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j’obtiens en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyais qu’il devait être la joie et la consolation. De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes, dont on a peine, aux yeux du monde, d’adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent, à toutes heures, à lasser les bontés du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? Ah ! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ? Êtes-vous en droit, dites-moi, d’en tirer quelque vanité ? Et qu’avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sorti d’un sang noble lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. Aussi nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler ; et cet éclat de leurs actions qu’ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né : ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu’ils ont fait d’illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire, l’éclat n’en rejaillit sur vous qu’à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d’un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu’on signe qu’aux actions qu’on fait, et que je ferais plus d’état du fils d’un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d’un monarque qui vivrait comme vous.

DON JUAN. — Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler.

DON LOUIS. — Non, insolent, je ne veux point m’asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme. Mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t’avoir fait naître. (Il sort).

 

 

     Don Louis avait souhaité un fils qui aurait dû être « [sa] joie et [sa] consolation ». Mais en lieu et place d’un héritier dont le comportement vertueux aurait pu faire sa fierté, il a un fils dont le manque de vertu le fait souffrir, fait la honte de sa famille et déshonore la mémoire de ses aïeux.

 

     Après cet affrontement, Don Juan souhaite même la mort de son père :

 

Scène 5 — Don Juan, Sganarelle.

 

DON JUAN. — Eh ! mourez le plus tôt que vous pourrez, c’est le mieux que vous puissiez faire. Il faut que chacun ait son tour, et j’enrage de voir des pères qui vivent autant que leurs fils.

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      Même si les parents essaient d’éduquer leurs enfants du mieux qu’ils peuvent et malgré tous leurs efforts, ils font parfois des erreurs. Ils essaient de transmettre leurs valeurs culturelles et morales à leur progéniture, pour qu’ils deviennent ce que Rabelais appelait des « honnêtes hommes », mais ceux-ci les déçoivent parfois par un comportement inadapté.


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